J’appartiens au peloton de commandement du capitaine VIE, en
tant que responsable des agents de transmission. Je dispose en outre d’une
excellente moto Gnome et Rhône civile à deux cylindre »flat-twin » dont
malheureusement les deux garde-boues sont trop près des pneus et la boue qui
s’y entasse bloque les roues tous les dix kilomètres m’obligeant à m’arrêter
pour la dégager.
Les pelotons se sont installés sur les versants qui bordent
la route en direction de SIDI-SAAD, le peloton De NAUROIS avec un mortier de 81
occupe la crête N.N.O, et le peloton de SAINT TRIVIER le
versant S.S.E.
Le peloton de canons de 25 mis à la disposition de
l’escadron et un canon de 47 servi, je crois, par des artilleurs tiennent la
route de SIDI-SAAD.
J’installe, sur les ordres du capitaine, un observatoire sur
la crête Sud qui domine le col : Il offre des vues sur SIDI-SAAD et sur toute
la plaine de KAIROUN.
Le PC du capitaine VIE dispose d’une mechta (1) vide et que
l’adjudant d’escadron NAUDIN a bien voulu me laisser une petite place dans une
baraque en dur où il loge avec sa chienne SULTANE à condition que je l’escorte
durant les rondes de nuit qu’il doit assurer tous les trois à quatre jours.

Ce confort relatif me satisfait mais hélas les conditions de
vie sont très dures pour les pelotons de combat qui ont creusé des abris dans
le sol, mais la pluie, le froid et les poux ! Les rendent bien malheureux,
toutefois le moral est excellent.
Quelques jours après notre arrivée, un lightning P38 (chasseur américain à double fuselage) vient
abattre au-dessus de nos têtes un avion allemand qui va se « crasher » dans nos
lignes, à quelques centaines de mètres du col. J’enfourche ma moto et suivi par
un véhicule armé nous nous portons vers l’endroit où l’avion est tombé.
Nous le découvrons fumant, abandonné hélas, par ses deux
occupants qui ont probablement réussi à gagner le tunnel du chemin de fer assez
proche par lequel ils ont pu rejoindre leurs lignes, car toutes les recherches
entreprises sont restées vaines.
Peu après cet incident… grosse émotion ! De l’observatoire
nous parvient un coup de sifflet, suivi de signaux à bras signifiant : « alerte
chars ».
Le capitaine VIE se rend immédiatement près du canon de 47
afin que celui-ci n’ouvre le feu que sur son ordre car il veut ne faire tirer
qu’à coup sûr.
Les deux blindés allemands, des AM ont stoppé et observent
attentivement le col. Nous sommes tous sous nos gardes, les cœurs battent très
vite… mais la tentation est trop forte pour le brigadier-chef CAILLOCHE qui
tient sur sa ligne de mire le buste sorti de la tourelle l’un des chefs de
blindé qui observe le col… il lâche malheureusement une rafale de FM ! Et rate
sa cible ! Catastrophe ! Notre présence est dévoilée et les AM se replient en
lâchant de longues rafales de mitrailleuses sur les crêtes où se trouvent nos pelotons.
Vitrine des uniformes des soldats de la Campagne de TUNISIE
Musée de l'Armée Invalides.
Notre préposé au mortier de 81 FORTIER QUENTIN les
accompagne avec quelques obus.
Les allemands savent maintenant que le col est tenu et nous
avons raté une belle occasion de faire un beau carton. Ce n’est que partie
remise.
Quelques jours plus tard, une patrouille commandée par BILLY
surprend trois italiens, (éclaireurs d’une patrouille plus importante) qui se
promenaient l’arme en bandoulière vers la ferme de SAMPIGNY située en bas du
col de BOU GOBRINE.
Ils sont faits prisonniers. BILLY qui dispose d’une douzaine
d’hommes décide de retourner au col car il se sait inférieur en nombre par
rapport aux italiens qui progressent vers la ferme.
Il part en tête avec les prisonniers et trois ou quatre
chasseurs, couverts par le FM de Gilbert LEROY. BILLY tient une grenade
dégoupillée dans la main !! -quelle idée- qui lui échappe en sautant un
obstacle.
L’explosion surprend alors l’élément de couverture. Tous se
retournent pour se rendre compte de ce qui se passe, G. LEROY aperçoit à plus de
cent mètres, un des prisonniers italiens couchés sur le sol qui le regarde en
fouillant dans sa poche. Il se croit menacé et lui tire dessus pendant que le
tireur du FM qui a retrouvé son arme, lâche une rafale…
Plus de peur que de mal. Tout le monde rejoint le PC de
l’escadron et il est probable que le prisonnier qui écrivait sur son carnet de
route en s’adressant à sa fiancée : «oh Carissimi Mia» a dû mettre longtemps
pour se remettre de ses émotions.
L’inaction me pèse, aussi, ayant entendu le capitaine VIE
exprimer ses craintes de voir les allemands ou les italiens s’installer dans la
ferme du Russe si cela n’est pas déjà fait, je décide de lui demander
l’autorisation de m’y rendre avec une petite patrouille pour nous assurer de la
présence ou non des allemands.
Après quelques réticences, le capitaine sachant que j’ai déjà eu le baptême du feu en SYRIE, m’autorise à organiser cette petite mission de reconnaissance.
La ferme du Russe se trouve à environ 3 kilomètres du col de
BOU-GOBRINE. Une petite patrouille est constituée avec quelques éléments du PC
dont j’ai oublié les noms en dehors de celui d’AMINE ALLAH. Pas de FM, notre
armement individuel seulement et quelques grenades.
Entente préalable avec les éléments qui tiennent la route,
convention des signaux lumineux pour le retour et nous voilà partis en pleine
nature sur un sol relativement facile à la marche dans l’obscurité.
 |
Dessin du Brigadier-Chef G. RATABOUL
Sources : 2°R.C.A au combat.
|
Au bout d’une demi-heure un fait banal nous procure une
belle émotion. Alors que nous franchissons un petit oued, il se produit un
frou-frou accompagné de sifflements qui provoquent en nous, une décharge
d’adrénaline telle, que nous sommes figés sur place et qu’il nous faut trois à
quatre secondes pour réaliser ce qui vient de se passer.
C’est tout simplement du gibier à plumes qui vient de
s’envoler, des perdreaux des canards ?… nous ne le saurons jamais…
Nous reprenons notre progression avec toutes les précautions
d’usage pour ne pas nous faire déceler par le bruit de notre marche ou par des
silhouettes un peu trop proéminentes.
N’y a pas de lune et l’obscurité règne, nous arrivons enfin
au muret qui borde la ferme.
J’envoie trois éclaireurs qui sont chargés de
rechercher la présence éventuelle d’engins blindés dans la cour. Après quelques
secondes l’un d’eux vient me dire doucement dans l’oreille :
« Il y a un char à bancs dans la cour » Pendant trois
secondes, je ne retiens que le mot « char » et mon émotion est plus forte puis…
je réalise qu’il s’agit d’un véhicule hippomobile sans importance. Me voilà
rassuré.
AMINE ALLAH nous rejoint à son tour accompagné d’un
domestique agricole qu’il a intercepté. Ce dernier tremble de peur et nous jure
qu’il n’y aucun allemand ou italien dans la ferme et qu’ils n’y sont jamais
venus.
Je veux en avoir le cœur net et ordonne de fouiller la ferme
pendant que j’interroge le propriétaire, « le russe ».
Le fait de savoir qu’il était russe m’a peut-être conduit à
une certaine sévérité dans l’interrogatoire tout en restant correct dans mes
actes, mais, cinquante ans après, je pense qu’il aurait été préférable d’être
un peu plus conciliant pour m’attirer les bonnes grâces éventuelles de ce
fermier, au lieu de le menacer des pires représailles s’il nous avertissait pas
à l’avenir de la venue de patrouilles de nos ennemis ou de l’occupation de sa
ferme par ces derniers.
Il n’y a dans la ferme, ni allemands ni italiens et nous
pouvons retourner au col avec les mêmes précautions qu’à aller.
Après une heure de marche prudente nous sommes à l’entrée du
dispositif de défense du col où nos signaux lumineux convenus sont reconnus et
nous permettent de rejoindre sans encombre le PC du capitaine VIE à qui je
rends compte du résultat.
Mémoires
PENICHOT Robert - Membre du 1er Escadron - Président - Fondateur de
l’association des anciens et de l’Amicale des Vétérans du 2ème
Régiment de Chasseurs d’Afrique - Bulletin de l’Association Janvier 1993.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire